« Bonjour voyageur/voyageuse imprudent(e), où penses tu aller comme cela ?
Un piège se prépare et tu as les yeux dedans. Ton corps y est rattaché mais plus pour très longtemps.
Ici vont se jouer les préliminaires avides d’une mythologie sans précédent !!
Viens te tremper dans le stupre végétal esthétique et le design inconfortable de la langueur infinie.
Le plaisir est gratuit, mais attention pas touche, les murs ont des dents !
Joins-toi à nous, viens trouver ici le plaisir éternel !
Prends un ticket sans retour pour Chatteland où la vie est rose …
Entre le vomi et la fleur il n’y a qu’un pas… à franchir !
Trop tard, tu es infesté, la transformation commence ! »
Chatteland, est le monde imaginaire développé par mon travail plastique. C’est un monde qui existe dans une autre dimension où le sexe féminin est omniprésent. Il est intimement lié à l’état de « mort » mais de manière ambiguë car ce monde est à la fois positif et confondu avec la vie. Dans Chatteland il n’y a pas de paradis, juste une certaine version foraine de l’enfer. Dantes n’étant jamais très loin.
Chatteland est un monde « extra-terrestre » où les normes de création sont différentes. La perte de connexion avec le fonctionnement biologique que nous connaissons, lorsque nous franchissons les portes de Chatteland, est cette « mort », qui n’en est pas une, dans cette nouvelle dimension. Les viscères étendus au sol (récurrentes dans mes peintures), probablement ceux de notre propre corps tombé par terre lors du changement de monde, sont vite envisagés comme un lieu de détente. A Chatteland nous sommes spectateurs de notre propre « mort » et de notre plaisir. Nous sommes dedans et dehors à la fois. Nous le vivons très intensément et le spectacle est obnubilant. Mais l’expérience est chaude et rassurante.
L’enfer, ici forain et clownesque, compte exorciser l’angoisse de notre inévitable fin.
Chatteland est parallèlement le monde du plaisir extatique ultime.
Je montre toujours des parcelles ou des bribes de Chatteland, pour laisser au spectateur la possibilité d’imaginer les liens entre chaque morceau de cet univers corporel. D’ailleurs, celui-ci est avant tout une construction de pensée plutôt décousue basée sur l’imagination seule, à l’image du fantasme.
Il est aussi sujet à histoires, mythologies, qui sont encore à découvrir et à dévorer, comme une série de livres de science fiction.
L’exposition Départ pour Chatteland, retrace le voyage d’entrée dans Chatteland. Les premiers pas après les portes de Chatteland, quand on se fait instantanément absorber par les couloirs mouvementés qui le constituent.
On commence alors par la jungle…
La jungle est un espèce de couloir spatio temporel qui guide l’être humain depuis notre monde jusqu’aux diverses parties de Chatteland. Ces couloirs servent aussi à ce que votre corps soit transformé afin de supporter le voyage dans ce monde « extra-terrestre ». Extérieurement, si on pouvait le voir, la jungle ressemblerait à un intestin géant dans lequel nous serions ingérés tout doucement. Mais rien ne le prouve, des recherches sont encore en cours sur le sujet.
L’exposition montre de la jungle de différentes manières.
Tout d’abord grâce à une peinture qui aurait ici « avalé » son châssis : La jungle de Chatteland. Elle est une esquisse à la découverte de la Jungle soit l’installation qui se répand sur les murs de la salle d’exposition. Cette peinture est une transition entre la peinture sur châssis « classique » et la série Jungle où la toile est devenue un objet cloué au mur. Elle fait penser à l’ouverture d’une bouche d’aération remplie de mauvaises herbes : entre plumes et fleurs.
La paroi, à la fois agréable et étouffante, se déploie pour engouffrer le trop (mal)heureux voyageur. Le surplus de douceur et de guilis ainsi que les dents invisibles, pourraient activer votre faim/fin si vous êtes au goût de la parure fleurie.
Dans Jungle les dents sont toujours légèrement dissimulées. Avec cette mastication infinie votre corps pourrait s’émouvoir et se laisser digérer. Vous entrerez dans ce paysage contaminant et contaminé en marge du monde que nous connaissons.
L’installation Enfer montre le moment où le corps du/de la visiteur/se, voire même seulement ce qu’il reste de sa peau, semble rejetée ou stockée (les spécialistes sont dubitatifs encore sur la question) pour ne former qu’une infâme bouillasse de peinture.
Ici l’enfer a deux tranchants. Il est factice quand il montre le côté brut de sa construction : tasseaux de bois, panneaux et fixations en métal sans finitions esthétique particulières, avec équerres en apparence fragiles. Pourtant il semble léger dans la technique picturale qui rappelle les impressionnistes l’ensemble en reprenant la forme d’un retable géant en all over.
La pièce Les couloirs de Chatteland montre un espace de transition entre différentes parties du monde de Chatteland. Ils ressemblent à la jungle mais proposent des déplacements plus rapides car ils ne font pas de transformation des corps comme la Jungle. Ils ressemblent à la fois à un ensemble de muscles mais aussi à des parois utérines/vaginales. Ces parois « filaires », semblent fantomatiques. Elles disparaissent et réapparaissent. Elles se rassemblent comme les neurones créent des connections dans le cerveau. Les transparences suggèrent leur aspect surnaturel et mouvant.
Le cadre évoque un mobilier un peu ancien (couleur acajou, sculptures du cadre) qui essaye de fusionner avec le « sujet » pourtant volatile de la toile. Cependant les de griffes que l’on peut associer à l’image du diable sont là. Le « paysage » absorbe et griffe notre réel, nous attrape. Les griffes adhèrent parfaitement à la proie.
Dans l’exposition se dégage un rapport de poids entre les morceaux de Chatteland : Les peintures sans châssis clouées au mur qui semblent être de papier qui s’opposent aux les peintures sur bois, voire à la peinture classique sur châssis encadrée de manière surdimensionnée. Il y a aussi un rapport au raffiné et à l’abject, dans ce qui est rejeté ou considéré comme sur esthétisant.
Le malaise fait rire jaune. Chatteland fait plutôt rire rose teinté de grosses traces de rouge.
Anne-Sophie Yacono, à l’occasion de l’exposition Départ pour Chatteland à Mix’art Myrys, Toulouse, 2015